Capitalisation des rentes indemnitaires : une prise de position historique de la Cour d’Appel de ROUEN ? A propos de l’arrêt rendu le 28 aout 2024

18/09/2024
Thumbnail [16x6]

Cet arrêt a été rendu à propos de l’indemnisation du préjudice corporel d’une victime d’un accident de la circulation.

Une des questions posées à la Cour d’appel de ROUEN consistait à choisir l’outil à utiliser pour capitaliser le préjudice viager d’assistance par tierce personne.

Le besoin de la victime avait été fixé à 2 heures par jour à titre viager. Il convenait donc d’attribuer à la victime un capital lui permettant sa vie durant de faire face à ce besoin quotidien en effectuant une capitalisation.

La capitalisation est une opération mathématique (et non pas une évaluation d’un préjudice) par laquelle est déterminé un capital, destiné à être placé à un taux sans risque, duquel la victime devra être en mesure de retirer sa rente, en tenant compte de son indexation éventuelle, pendant la durée prévisionnelle de la rente, en consommant intégralement le capital et les intérêts produits.

La capitalisation n’est ainsi respectueuse de la réparation intégrale qu’à la condition de déboucher sur un capital qui permette à la victime d’avoir ce comportement idéal – peu important qu’elle l’adopte effectivement, ou non.

Toutefois, il n’existe aucun outil légal pour effectuer cette opération.

Ainsi les Compagnies d’assurance appliquent entre elles leur propre barème de capitalisation intitulé « Barème de Capitalisation de référence pour l’indemnisation des Victimes ».

Les Avocats ont quant à eux développés leur propre barème de capitalisation dit « de la Gazette du Palais », revue juridique de référence dans laquelle ce barème est publié.

La jurisprudence utilisait le second barème qu’elle estimait être plus en adéquation avec les aspects économiques actuels. La Cour d’Appel de ROUEN ouvre d’autres perspectives…

Pour faire simple, si tant est que cela soit possible sur cet aspect très technique de l’indemnisation des victimes d’accidents corporels, afin de calculer un barème de capitalisation il faut prendre en compte trois paramètres :

 

  • l’espérance de vie (plus une victime est jeune, plus l’indemnisation doit être importante)
  • les taux d’intérêt (en fonction de ce que la capital placé rapporte d’intérêts, la somme allouée varie)
  • l’inflation (1 € n’a pas la même valeur en 2000 et en 2020).
     

Les différentes tables de capitalisation variaient en fonction du choix de ces paramètres.

En période incertaine, le dernier barème de la Gazette du Palais proposait 2 hypothèses dépendant du taux d’inflation, qui il est vrai ces dernières années avait fortement augmenté.

Nos amis Belges quant à eux utilisent un logiciel particulier dit logiciel JAUMAIN du nom de son créateur :

https://www.logiciels-jaumain.com/

Il serait trop long de décrire les avantages de cet outil au regard de nos tables de capitalisation (je me permets de renvoyer pour cela à l’ouvrage du Professeur QUEZEL – AMBRUNAZ particulièrement clair sur ce sujet) mais il permet de choisir un certain nombre de paramètres et de ne pas être enfermé dans un outil statique.

Les montants ainsi obtenus sont au surplus beaucoup plus favorables aux victimes.

La Cour d’Appel de ROUEN est à ma connaissance la première Cour à faire le choix d’utiliser le logiciel JAUMAIN et l’argumente de la manière suivante :

 

« …. c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que le juge du fond, tenu d'assurer la réparation intégrale du dommage actuel et certain de la victime sans perte ni profit, applique le barème de capitalisation qui lui paraît le plus adapté à assurer les modalités de cette réparation pour le futur. »

« Le barème de capitalisation publié à la Gazette du palais donne le prix de l'euro de rente à un âge déterminé en utilisant les deux variables suivantes : le taux d'intérêt, qui prend en compte l'inflation laquelle est compensée par le biais de l'indexation de la rente, et l'espérance de vie pour chaque âge donnée par les tables de mortalité publiées tous les deux ans par l'Insee. Dans leur version la plus récente, les barèmes de capitalisation de 2022 sont fondés sur une espérance de vie selon les tables de mortalité 2017-2019 et proposent, l'une un taux d'intérêt (corrigé de l'inflation) à 0 %, l'autre à -'1 % »

« Le logiciel élaboré par le professeur [V] et proposé par Mme [K] épouse [D] pour calculer le capital lui revenant distingue le taux d'inflation et le taux d'intérêt. La prise en compte à part entière du taux d'inflation permet de protéger la victime contre les effets de l'érosion monétaire. Ce logiciel se fonde également sur des données actualisées définies par l'utilisateur, notamment l'année de la table de mortalité et la date d'évaluation du préjudice. Il répond en conséquence à l'exigence de réparation intégrale du préjudice de la victime »

« Au vu des éléments socio-économiques et monétaires versés aux débats, et dans le même temps de l'objectif recherché du maintien de stabilité des prix et d'une politique monétaire destinée à contenir l'inflation à 2 % tel qu'il ressort de l'article 127 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sera retenu un taux d'inflation de 2 %. »

« le calcul du taux d'intérêt opéré par Mme [K] épouse [D] à hauteur de 1,17 % est cohérent avec les données précitée produites. Il ressort de la saisie des paramètres suivants dans le logiciel [V] : date d'évaluation du préjudice (28 août 2024), millésime de la table de mortalité (2024), table de mortalité (prospective), date de naissance et sexe de l'appelante, rente (indexée), rente viagère (à vie), taux d'intérêt (1,17 %), et taux d'inflation (2 %), que le prix de l'euro de rente est égal à 28,120572, soit un capital de 410 841,56 euros au jour du présent arrêt (28,120572 × 365,25 jours × 40 euros). »

 

Accès à la décision : https://www.courdecassation.fr/decision/66d00eca990a8354187abb77