Dommage corporel : Indemnisation des frais induits par le placement d’un tiers dont s’occupait la victime directe de l’accident

22/04/2024
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A propos de l’arrêt rendu par les 5ème et 6ème chambres réunies du Conseil d’Etat le 6 mars 2024 (ref. 458481)

Il n’est pas rare que la personne victime directe de l’accident tenait, avant les faits, le rôle d’aidant pour un proche (de tâches simples telles faire les courses, aider à la tenue des papiers …à une prise en charge beaucoup plus lourde). Cette situation peut concerner l’aide apportée par des enfants à leurs parents âgés mais également l’aide mutuelle apportée par chacun au sein du couple âgé.

Je pense particulièrement à l’un de mes dossiers dans lequel Monsieur prenait en charge Madame atteinte de la maladie d’Alzheimer ; l’accident survient rendant nécessaire, du fait des seules blessures de Monsieur, l’institutionnalisation du couple en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).

Dans nos sociétés vieillissantes, face au manque cruel de structures adaptées, ainsi qu’à leurs couts prohibitifs, l’entraide familiale occupe une place de plus en plus importante. Nous allons donc être plus souvent confrontés dans nos dossiers à cette question : l’indemnisation doit-elle concerner uniquement l’aide dont a besoin la victime directe ou également le remplacement de l’aide que celle-ci apportait à un tiers ?

L’accident vient rompre un équilibre existant et le principe de réparation intégrale suppose que la victime soit replacée dans la situation qui aurait été la sienne si l’accident ne s’était pas produit.

Du fait de l’accident, si deux personnes d’un couple âgé qui vivait de manière indépendante doivent être institutionnalisées, il me semble donc qu’il convient de prendre en charge l’intégralité des frais de placement pour les deux personnes.

Evidemment devront être déduites les aides extérieures déjà apportées avant la survenance de l’accident et les frais qu’en tout état de cause les personnes auraient du supportés (un éventuel loyer, le cout des dépenses d’eau, d’électricité ….). La question est parfois soulevée d’une prise en charge qui ne pourrait être que limitée à une perte de chance d’avoir pu continuer à bénéficier de l’aide de la victime directe, au motif qu’un jour la personne aidée aurait été en tout état de cause dans l’obligation de rejoindre un EHPAD… Toutefois, il convient de se référer à la situation existante avant l’accident… et avant l’accident la victime et son conjoint vivaient ensemble à leur domicile.

C’est d’ailleurs en ce sens qu’a statué le Conseil d’Etat dans la décision citée en incipit en approuvant une Cour d’appel d’avoir condamné l’ONIAM (Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux)  à prendre en charge « les frais exposés pour pérenniser l’assistance qu’elle (la victime directe de l’accident médical) apportait précédemment à son mari… ». 

 

Extraits de la décision :

 

« 1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... a subi le 6 avril 2010 au centre hospitalier de Lisieux une intervention chirurgicale lors de laquelle elle a été victime d'un accident médical non fautif lui ouvrant droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale. Par un jugement du 27 décembre 2016, le tribunal administratif de Caen a condamné l'ONIAM à verser à Mme A... la somme de 234 840,40 euros au titre de ses préjudices. Par un arrêt du 11 janvier 2019, la cour administrative d'appel de Nantes, sur les appels de Mme A... et de l'ONIAM, a réformé ce jugement, réduit à 98 196,99 euros le montant de l'indemnité mise à la charge de l'ONIAM et condamné l'ONIAM à verser également à Mme A... une rente annuelle de 11 400 euros. Par une décision n° 428835 du 31 décembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt en tant qu'il statue, d'une part, sur la prise en charge des frais occasionnés à Mme A... par l'hospitalisation et l'assistance apportée à M. A... et, d'autre part, sur la prise en charge des frais d'assistance par une tierce personne de Mme A..., pour la période antérieure à sa date. Mme A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 septembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a condamné l'ONIAM à lui verser les sommes de 60 190 euros au titre de ses frais d'assistance par une tierce personne et de 37 185,49 euros au titre des frais exposés par elle pour l'assistance de son époux en tant que cet arrêt ne fait pas entièrement droit à son appel. »

« Sur les frais relatifs à l'obligation, pour Mme A..., de faire apporter une assistance à son mari :

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., qui assurait jusqu'à l'accident médical du 6 avril 2010 l'assistance quotidienne exigée par l'état de santé dégradé de son mari, a demandé au juge administratif de mettre à la charge de l'ONIAM les frais exposés par elle, d'abord, pour faire assurer l'hébergement transitoire de ce dernier dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, puis, pour lui faire apporter à titre onéreux, jusqu'à ce qu'il décède, l'assistance quotidienne qu'elle n'était plus en mesure de lui apporter du fait de cet accident.

5. Si, ainsi qu'il a été dit au point 2, le juge administratif détermine le montant de l'indemnité destinée à réparer le préjudice tenant, pour la victime d'un dommage corporel, à la nécessité de recourir pour elle-même à l'aide d'une tierce personne en fonction de ses besoins et des dépenses nécessaires pour y pourvoir, il n'en va pas de même pour la détermination du préjudice patrimonial invoqué par la victime et résultant de ce qu'elle a dû recourir à une telle aide pour s'occuper d'une autre personne, lequel préjudice doit être évalué à hauteur des dépenses effectivement supportées par la victime à ce titre.

6. Par suite, c'est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel, qui a retenu que Mme A... était en droit d'être indemnisée des frais exposés pour pérenniser l'assistance qu'elle apportait précédemment à son mari, a évalué ce préjudice à hauteur des dépenses effectives dont elle justifiait à ce titre. En mettant à un tel titre une somme de 31 098,57 euros à la charge de l'ONIAM, la cour a souverainement apprécié les pièces versées au dossier, sans les dénaturer. »