ETAT ANTERIEUR ET INDEMNISATION DU PREJUDICE CORPOREL

28/02/2024
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La question posée est sempiternellement la même …. Comment indemniser une victime qui présente un état antérieur non révélé avant la survenance de l’accident ?

Dans les hypothèses d’un état antérieur déjà révélé, c’est-à-dire connu et/ou soigné, avant l’accident, il n’existe aucune difficulté la victime ne sera pas indemnisée des conséquences de son état antérieur ; le rôle du médecin expert sera sûrement plus délicat puisqu’il devra faire la part des choses entre les conséquences de l’état antérieur et celles de l’accident.

La question la plus complexe concerne les état antérieurs muets ou encore nommés latents ou encore non révélés ou encore décompensés ou encore autrement dit une personne présentant des prédispositions pathologiques. En effet, la victime présente bien un état antérieur mais qui ne s’est jamais manifesté en aucune manière avant l’accident.

La position de la Cour de Cassation, par une jurisprudence ancienne et constante, considère alors que l’étant antérieur latent ne peut permettre au responsable de réduire l’indemnisation du préjudice de la victime. La motivation est souvent la même : l’indemnisation du préjudice corporel « ne peut être réduite en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que du fait de l’accident ».

L’accident est la cause du tout. Le fait qu’il ait été l’événement déclencheur et révélateur des préjudices de la victime, suffit à faire jouer le principe de réparation intégrale et à écarter toute réduction de son indemnisation, malgré d’éventuelles prédispositions pathologiques.

Médicalement l’état antérieur existe, juridiquement c’est comme s’il n’existait pas !  Et cette distinction, pourtant simple et protectrice des victimes, est la source de nombreuses difficultés.

J’ai pu constater que beaucoup de médecins expert ne parviennent pas à accepter cette bivalence entre le médical et le juridique. Difficile pour nombre d’entre eux de retenir une imputabilité intégrale par exemple d’une hernie discale existante déjà avant l’accident mais uniquement révélée par sa survenance…. Et de nombreuses conclusions médicales, me semble-t-il, ne tiennent pas compte de la position de la Cour de Cassation.

Qu’à cela ne tienne, les  juristes devraient être là pour corriger cette erreur quasi pavlovienne … Et à la moindre mention d’un état antérieur, il convient de valider dans le corps du rapport dans quelle situation exacte se situait la victime… Malheureusement la rectification n’est quasiment jamais faite. Il ne s’agit pas bien sûr de demander à un expert de modifier ses conclusions mais de les compléter en indiquant quelles seraient les séquelles si l’état antérieur ne devait pas être considéré.

Evidemment ces dossiers finissent toujours en contentieux, puisqu’une victime se portant très bien avant l’accident et dont l’état de santé se dégrade, se verra opposer pour limiter son indemnisation, l’existence  de pathologies antérieures à l’accident dont elle l’ignorait parfaitement l’existence …puisqu’elle n’en souffrait pas. D’évidence aucun accord ne peut intervenir sur ces bases, la victime ne comprenant légitimement pas la réduction de son indemnisation.

A noter que parfois les conclusions médicales peuvent, dans ses circonstances particulières, jouer sur la sémantique et utiliser d’autres termes, tels que l’existence de « pathologie évoluant pour son propre compte », qui néanmoins recouvre l’exacte  même réalité…

C’est malheureusement ce qui est actuellement opposé à un de mes Clients ;  après un grave accident de la circulation le blessant sévèrement au rachis, il a sollicité la réouverture de son dossier au titre de plusieurs aggravations. Les médecins de la compagnie d’assurance lui opposent un état dégénératif arthrosique consistant en une pathologie « évoluant » pour son propre compte alors qu’il n’existait aucun état antérieur.

Or, fort opportunément pour mon Client, c’est à nouveau sur cette question que vient de se prononcer une nouvelle fois le Cour de Cassation dans son arrêt du 15 février 2024 (pourvoi n° 22-20.994).

Dans les faits de l’espèce, dans les suites de l’accident de la circulation du 12 aout 2013, la victime découvre, par des IRM et scanners effectués les 15 et 27 août suivants, soit quelques jours seulement après la survenance du fait générateur,  une « pathologie lombaire dégénérative préexistante et asymptomatique ». La Cour d’Appel de Bordeaux dans un arrêt du 21 juin 2022 (n°19/04145) avait débouté la victime de ses demandes en jugeant que « ces lésions lombaires ne devaient pas être prises en charge au titre de l'accident dès lors qu'elles seraient nécessairement apparues et devaient ainsi être appréhendées comme un état antérieur patent, peu important que cette pathologie dégénérative n'ait été connue que postérieurement à l'accident ».

 

La deuxième Chambre Civile casse l’arrêt d’appel sur le fondement du principe de réparation intégrale et dans des termes limpides :

  • « 5. Pour débouter M. [F] de ses demandes, l'arrêt retient que les lésions lombaires dont il souffre seraient nécessairement apparues indépendamment de tout accident, de sorte que cette pathologie dégénérative doit être assimilée à un état antérieur patent, peu important qu'elle n'ait été connue que postérieurement à l'accident de la circulation litigieux.
  • Dispositif
    6. En statuant ainsi, alors que le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est résulté n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable, la cour d'appel a violé le principe susvisé. »

Le fait que les premiers éléments médicaux révèlent la pathologie pré existante ne change pas la position de principe.

Pléthore d’arrêts sont déjà venus illustrer cette jurisprudence constante et protectrice des victimes ; j’ai pour ma part relevé les espèces suivantes : cervicarthrose (2012), décompensation psychiatrique (2014), pathologie discale dégénérative (2016), décompensation d’un état arthrosique (2016), dépression réactionnelle (2019), maladie de Parkinson (2020), état de stress pos traumatique (2020), état arthrosique dégénératif du rachis cervical (2023).

 

Soyons donc tous particulièrement vigilants dans ces espèces où la question de l’état antérieur est posée afin d’éviter à une victime de se voir opposer une limitation de son droit à indemnisation.